Jean-François Dejours et Georges Gastaud, professeurs de philosophie, animateurs de l’U.P.C.G. poursuivent l’exposé méthodique, accessible à tous, du matérialisme dialectique marxiste ce mardi 8 avril à la salle Louis Albert, rue du St-Esprit à Lens.
Cette fois-ci l’exposé portera sur l'examen d'une notion accompagnée d'un texte : la notion marxiste de "déterminisme en dernière instance" et le texte de Engels (lettre à Joseph Bloch du 21 septembre 1890 https://www.marxists.org/francais/engels/works/1890/09/18900921.htm )
Bien cordialement
Suite aux difficultés pour trouver la salle, vous trouverez un petit plan pour vous facilier l'accès. Depuis l'autoroute prendre la sortie 8, à la hauteur des terrils jumeaux.
Lettre
à Joseph Bloch 1
Londres,
le 21-22 septembre 1890.
Cher
Monsieur,
Votre
lettre du 3 de ce mois m'a suivi à Folkestone, mais comme je n'avais
pas le livre en question, je n'ai pu y répondre. Rentré chez moi le
12, j'y ai trouvé un tel amoncellement de travail pressant que j'en
viens seulement aujourd'hui à vous écrire quelques lignes. Cela
pour vous expliquer mon retard en vous priant de m'excuser.
En
ce qui concerne le point I. Vous verrez tout d'abord à la page 19 de
L'Origine2
que le processus de développement de la famille punaluenne y est
représenté comme si lent qu'à Hawaï, en ce siècle même, il y
eut dans la famille royale des mariages entre frère et sœur (nés
d'une même mère). Et dans toute l'Antiquité, nous trouvons des
exemples de mariages entre frères et soeurs, par exemple chez les
Ptoléméens. Mais il faut ensuite faire la différence entre frères
et soeurs par leur mère ou seulement par leur père; le grec
“ adelphos ”, “ adelphè3
" vient de " delphos, utérus, et signifie donc à
l'origine seulement frères et soeurs utérins. Et, de la période du
matriarcat, s'est maintenu longtemps encore le sentiment que les
enfants d'une même mère, même de pères différents, étaient plus
proches parents que les enfants d'un même père, mais de mères
différentes. La forme de la famille punaluenne exclut seulement les
mariages entre les premiers, mais pas du tout entre ces derniers, qui
selon les représentations d'alors ne sont même
pas parents du tout (puisque
c'est le droit maternel qui règne). Il est exact, autant que je
sache, que les cas de mariage entre frères et soeurs qui
apparaissent dans l'antiquité grecque se limitent, ou bien à des
cas où les personnes ont des mères différentes, ou bien encore à
des cas où ce fait n'est pas connu et n'est donc pas exclu non plus,
et qui ne contredisent donc absolument pas l'usage punaluen. Ce que
vous avez précisément omis de considérer, c'est qu'entre l'époque
punaluenne et la monogamie grecque, il y a le saut du matriarcat au
patriarcat qui transforme la chose de façon importante.
D'après
les Antiquités
helléniques de
Wachsmuth4,
il n'y a à l'époque héroïque de la Grèce “ pas trace de
scrupules concernant une parenté trop étroite des époux, à
l'exception des rapports entre parents et enfants ” (II° partie,
p. 157). “ Un mariage avec sa propre sœur n'était pas choquant en
Crète ” (Ib., p. 170). Cette dernière affirmation selon Strabon,
livre X, mais je ne peux, pour l'instant, retrouver le passage par
suite de la mauvaise division en chapitres5.
Par propre sœur, j'entends jusqu'à preuve du contraire des sœurs
par le père.
D'après
la conception matérialiste de l'histoire, le facteur déterminant
dans l'histoire est, en
dernière instance, la
production et la reproduction de la vie réelle. Ni Marx, ni moi
n'avons jamais affirmé davantage. Si, ensuite, quelqu'un torture
cette proposition pour lui faire dire que le facteur économique est
le seul
déterminant,
il la transforme en une phrase vide, abstraite, absurde. La situation
économique est la base, mais les divers éléments de la
superstructure – les formes politiques de la lutte de classes et
ses résultats, – les Constitutions établies une fois la bataille
gagnée par la classe victorieuse, etc., – les formes juridiques,
et même les reflets de toutes ces luttes réelles dans le cerveau
des participants, théories politiques, juridiques, philosophiques,
conceptions religieuses et leur développement ultérieur en systèmes
dogmatiques, exercent également leur action sur le cours des luttes
historiques et, dans beaucoup de cas, en déterminent de façon
prépondérante la forme.
Il y a
action
et réaction de tous ces facteurs au sein desquels le mouvement
économique finit par se frayer son chemin comme une nécessité à
travers la foule infinie de hasards (c’est-à-dire de choses et
d'événements dont la liaison intime entre eux est si lointaine ou
si difficile à démontrer que nous pouvons la considérer comme
inexistante et la négliger). Sinon, l'application de la théorie à
n'importe quelle période historique serait, ma foi, plus facile que
la résolution d'une simple équation du premier degré.
Nous
faisons notre histoire nous-mêmes, mais, tout d'abord, avec des
prémisses et dans des conditions très déterminées. Entre toutes,
ce sont les conditions économiques qui sont finalement
déterminantes. Mais les conditions politiques, etc., voire même la
tradition qui hante les cerveaux des hommes, jouent également un
rôle, bien que non décisif. Ce sont des causes historiques et, en
dernière instance, économiques, qui ont formé également l'Etat
prussien et qui ont continué à le développer. Mais on pourra
difficilement prétendre sans pédanterie que, parmi les nombreux
petits Etats de l'Allemagne du Nord, c'était précisément le
Brandebourg qui était destiné par la nécessité économique et non
par d'autres facteurs encore (avant tout par cette circonstance que,
grâce à la possession de la Prusse, le Brandebourg était entraîné
dans les affaires polonaises et par elles impliqué dans les
relations politiques internationales qui sont décisives également
dans la formation de la puissance de la Maison d'Autriche) à devenir
la grande puissance où s'est incarnée la différence dans
l'économie, dans la langue et aussi, depuis la Réforme, dans la
religion entre le Nord et le Sud. On parviendra difficilement à
expliquer économiquement, sans se rendre ridicule, l'existence de
chaque petit Etat allemand du passé et du présent ou encore
l'origine de la mutation consonnantique du haut allemand qui a élargi
la ligne de partage géographique constituée par les chaînes de
montagnes des Sudètes jusqu'au Taunus, jusqu'à en faire une
véritable faille traversant toute l'Allemagne.
Mais,
deuxièmement, l'histoire se fait de telle façon que le résultat
final se dégage toujours des conflits d'un grand nombre de volontés
individuelles, dont chacune à son tour est faite telle qu'elle est
par une foule de conditions particulières d'existence; il y a donc
là d'innombrables forces qui se contrecarrent mutuellement, un
groupe infini de parallélogrammes de forces, d'où ressort une
résultante – l'événement historique – qui peut être regardée
elle-même, à son tour, comme le produit d'une force agissant comme
un tout, de façon inconsciente
et
aveugle. Car, ce que veut chaque individu est empêché par chaque
autre et ce qui s'en dégage est quelque chose que personne n'a
voulu. C'est ainsi que l'histoire jusqu'à nos jours se déroule à
la façon d'un processus de la nature et est soumise aussi, en
substance, aux mêmes lois de mouvement qu'elle. Mais de ce que les
diverses volontés – dont chacune veut ce à quoi la poussent sa
constitution physique et les circonstances extérieures, économiques
en dernière instance (ou ses propres circonstances personnelles ou
les circonstances sociales générales) – n'arrivent pas à ce
qu'elles veulent, mais se fondent en une moyenne générale, en une
résultante commune, on n'a pas le droit de conclure qu'elles sont
égales à zéro. Au contraire, chacune contribue à la résultante
et, à ce titre, est incluse en elle. Je voudrais, en outre, vous
prier d'étudier cette théorie aux sources originales et non point
de seconde main, c'est vraiment beaucoup plus facile. Marx a rarement
écrit quelque chose où elle ne joue son rôle. Mais, en
particulier, Le
18 Brumaire de Louis Bonaparte est
un exemple tout à fait excellent de son application. Dans Le
Capital, on
y renvoie souvent. Ensuite, je me permets de vous renvoyer également
à mes ouvrages Monsieur
E. Dühring bouleverse la science et
Ludwig
Feuerbach et la fin de la philosophie classique allemande, où
j'ai
donné l'exposé le plus détaillé du matérialisme historique qui
existe à ma connaissance. C'est Marx et moi-même, partiellement,
qui devons porter la responsabilité du fait que, parfois, les jeunes
donnent plus de poids qu'il ne lui est dû au côté économique.
Face à nos adversaires, il nous fallait souligner le principe
essentiel nié par eux, et alors nous ne trouvions pas toujours le
temps, le lieu, ni l'occasion de donner leur place aux autres
facteurs qui participent à l'action réciproque. Mais dès qu'il
s'agissait de présenter une tranche d'histoire, c’est-à-dire de
passer à l'application pratique, la chose changeait et il n'y avait
pas d'erreur possible. Mais, malheureusement, il n'arrive que trop
fréquemment que l'on croie avoir parfaitement compris une nouvelle
théorie et pouvoir la manier sans difficulté, dès qu'on s'en est
approprié les principes essentiels, et cela n'est pas toujours
exact. Je ne puis tenir quitte de ce reproche plus d'un de nos
récents “ marxistes ”, et il faut dire aussi qu'on a fait
des choses singulières.
En
ce qui concerne le point 1, j'ai trouvé hier (j’écrit ceci le 22
sept.) encore le passage suivant, décisif, et qui confirme le
tableau que je viens de faire, dans SCHOEMANN: Antiquités
grecques, Berlin
1835, “ mais il est connu que les mariages entre demi-frères et
sœurs nés
de mères différentes ne
passaient pas pour inceste ultérieurement en Grèce ”.
J'espère
que les épouvantables enchevêtrements qui sont venus sous ma plume
parce que je voulais être bref ne vous feront pas trop reculer et je
reste votre dévoué
F.
ENGELS.
4
Il s'agit du livre de Wilhelm WAcHsmuTH
:
Archéologie hellénique, 2 vol.
en 4
parties.
Halle, 1826-1830.
“ Les
plus importantes des lois crétoises, comme le dit Ephore, sont les
suivantes dans le détail. Tous ceux qui sont sortis en même temps
de la troupe des jeunes gens sont obligés de se marier en même
temps, cependant ils ne conduisent pas tout de suite les jeunes
épousées à leur demeure, mais seulement lorsqu'elles sont habiles
à diriger les affaires domestiques. La dot se compose lorsqu'il y a
des frères, de la moitié de la part d'héritage d'un frère.
” (D'après STRABON : Géographie).
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